Black River

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Immersion, première


C'était pas mon tour, alors j'attendais les fesses posées sur le rebord de la piscine. Des palmes trop grandes aux pieds, un masque en guise de casquette. Au fond, un moniteur, un plongeur. Deux mètres, c'était pas haut; on voyait les gilets, les bouteilles jaunes, les bulles des respirations. Nos mondes se dissociaient. Celui de surface, celui dans l'eau. Impossible de les rejoindre, de comprendre, une vue de spectateur impuissant. L'attente parcourue d'un frisson.

« Et un, et deux ! »

Enceintes à fond, le cours d'aquagym dénotait. Mais la musique cachait mon trac. J'aurais voulu les rejoindre, danser un peu dans l'eau chaude. Mais les plongeurs remontaient déjà à la surface, les cheveux plaqués au front, pouvant enfin discuter du moment partagé.

« Plus haut maintenant, voilà ! »

On me regarde, c'est à moi. Une fois dans l'eau, on me passe un gilet attaché à une bouteille d'acier. Il est aussi rempli d'air, je flotte sans fatiguer. On dirait un attirail de parachutiste : des tas d'attaches, de boutons, de tuyaux. Et puis, difficile de se retourner. On m'explique les gestes. Comment dire ça va ; juste un rond formé par le pouce et l'index. Mais aussi dire que non, moyen ; la main horizontale, animée d'un mouvement droite-gauche en diagonale. ça ira, de toute façon. Je mets le détendeur en bouche, on dégonfle mon gilet. Je coule petit à petit. La musique s'évanouit et d'instinct, je bloque ma respiration. Mais il faut vivre un jour, alors j'inspire. L'air est sec, pas satisfaisant. Il lui manque quelque chose. Je ne me noie pas, alors j'imagine que c'est positif. Le bruit des bulles ponctue chaque expiration. L'eau n'est plus silencieuse, je suis un trouble. Et même s'il n'y a rien au fond. Que du carrelage, des lumières aveuglantes qui ricochent sur mon masque embué. D'ailleurs, il bloque ma vision sur les côtés. Pour voir autour de moi, je suis obligée de bouger complètement mon corps. Mon corps qui ballotte, pas du tout habitué à porter l'équipement. Je mets quelques coups de palmes, la nouveauté me paralyse. Car c'est se déplacer en trois dimensions, sans contrainte, sans vouloir remonter à tout prix à l'air libre. C'est prendre le temps de regarder autour, de frôler la faïence, de voir les nageurs en surface. Mais la méditation s'arrête, on me fait signe de remonter.

Lisa Diaz