En 1999, j'avais 7 ans quand je me suis mise à emprunter de plus en plus régulièrement la Gameboy Color de mes sœurs. C'était la première console portable couleur sur laquelle on pouvait jouer à autant de jeux : environs 450 jeux ont été édités, en comptant les originaux de la Gameboy Classic. Je découvrais le monde des jeux vidéo et j'étais totalement concentrée dessus.
L'objet que j'avais dans les mains avait aussi son importance. C'était l'interface qui me donnait accès à des heures et des heures de jeux. Des années plus tard, j'ai découvert que son design japonais était sans précédent en Europe. Ce que je savais en revanche, c'est qu'il était possible de trouver une version transparente de la console. Autrement dit à cette époque, il existait dans le commerce, un objet dont on pouvait observer une partie des composants électroniques. Depuis je n'ai, personnellement, plus jamais retrouvé d'entreprise comme Nintendo qui est ainsi mis en valeur la matérialité d'un objet numérique et la curiosité de l'utilisateur.
En réalité, Nintendo n'est pas la seule entreprise à avoir proposé une coque translucide. La Gameboy Color est sortie la même année (1998) que l'iMac G3 qui lui aussi était protégé par un plastique semi-transparent. Bleu à l'origine, l'iMac a été décliné ensuite dans une gamme de cinq couleurs, à peu près autant que pour la Gameboy Color qui les a proposées en édition limitée.
En parallèle, la culture des makers a commencé à se déployer à la même période. Ses adhérents sont considérés comme des héritiers de la culture Do It Yourself (née dans les année 50) car ils agissent selon des valeurs similaires. Les makers mettent l'accent sur la curiosité, l'apprentissage informel et la collaboration dans des espaces communautaires. L'idée est de jouer à détourner, créer des choses et partager ses découvertes. Ce qui les différencie du Do It Yourself est sans doute leur côté « hacker »1. Ils mêlent l'utilisation de technologies récentes à d'autres domaines qui sont traditionnellement séparés. Ce sont des créateurs, des ingénieurs, des amateurs, qui ont appris à manipuler des composants électroniques et différentes machines. Leurs créations peuvent être mécaniques, électroniques ou bien combiner objets physiques et logiciels par le biais de matériels open-source Hardware. En principe, ils n'enferment pas leurs objets dans des protections opaques difficiles à ouvrir. Pour pouvoir expliquer, partager, corriger ou améliorer, il vaut mieux garder le cœur d'une création le plus accessible possible. C'est dans ce contexte que des boîtiers transparents ont été à nouveau vendus, par exemple une protection d'un circuit imprimé de Rasperry Pi2.
Les messages de l'idéologie des makers et de l'open-source sont forts et se ressentent dans l'aspect des objets créés dans les Makerspaces3. On pourrait considérer qu'un type d'esthétique s'en dégage avec des câbles apparents, des composants peu coûteux et apparents (facilement remplaçables). Le principe « la forme suit la fonction »4, répété sans cesse par les designers, est revue sous un nouvel angle. La matérialité des composants est visible, on donne à voir ce qui rend l'objet fonctionnel. Il suffit de regarder l'objet pour commencer à comprendre son fonctionnement. Dans les Fab lab, on va plus loin en montrant aussi les processus de réalisation, et en donnant accès à des machines qui permettent de produire une partie des composants. Pour la partie informatique, si coder est nécessaire, la communauté open-source prend le relais. Les codes sources sont partagés en ligne, on cherche des solutions via des forums et l'apprentissage est valorisé.
L'éducation à la curiosité et à la persévérance met à mal la fascination asservissante des technologies. Ce ne sont plus des objets intouchables produits dans le but de plaire à des consommateurs. À la place, nous renouons avec notre propre capacité à être créateurs.
Tout à fait à l'opposé se trouvent les grandes entreprises de ventes de technologies prêtes à l'emploi. Ces entreprises se concentrent sur l'utilisateur-consommateur. Les besoins valorisés en premier lieu ne sont pas les même que pour des utilisateurs-créateurs. Et cela se répercute encore une fois sur l'apparence des produits. J'ai évoqué précédemment le fait que les supports multimédia s'étaient peu à peu optimisés en faisant une large place à l'écran. Les consoles de jeu mais aussi les ordinateurs et les téléphones ont évolué pour devenir plus fins, plus lisses, plus légers et opaques. Peut-être question de fragilité, de distraction visuelle, de mode ou autre, les propositions de coques translucides ont été stoppées. À présent, au sein des entreprises, la plupart des designers choisissent de proposer des esthétiques aussi minimalistes que possible. Cela a produit une uniformisation des designs. Ces produits sont comme des « fenêtres » qui donnent sur le « monde numérique ». Autour, un cadre et des accessoires nous permettent d'entrer en interaction avec le contenu.
Le message des entreprises qui produisent ces objets-écran pourrait être « avec cet outil vous serez plus efficace ». Les consommateurs visés sont ceux qui cherchent à être plus efficaces, performants, en somme ceux dont notre société a besoin pour entretenir la croissance.
Et ces consommateurs existent en grand nombre puisque, comme l'explique Zygmunt Bauman, « Les enfants sont façonnés pour devenir des adultes intégrés à la société correspondante. »5
La croissance en tant que but est une dérive de la façon de penser qui s'est forgée au XVIIIème siècle.
« Au siècle des lumières la peur du changement […] fit place à la peur de la stagnation ; le mot innovation devint un terme élogieux. »6
« Consommer est ancré dans nos usages mais ce qui érige ce comportement au rang de société c'est le fait qu'aujourd'hui « des humains soient jugés et évalués selon leur capacité à consommer. »7
À partir du moment où l'on prend conscience de ses propres choix et pratiques on peut aussi commencer à s'informer correctement sur les alternatives existantes. La limitation du statut humain-consommateur n'est pas inéluctable. Ce qui peut se trouver vrai pour les masses ne vaut pas forcément pour l'individu. Chacun est capable, en définissant ce qui lui importe, de choisir quelles pratiques, quels objets et quels messages lui correspondent.