Les jeux dont l'activité principale était le combat m'ont de moins en moins intéressée. J'ai commencé à me tourner vers la création quand je suis arrivée au collège. Grâce à des jeux vidéos, parfois je jouais à la styliste, ou bien à la décoratrice d'intérieur. En plus de quelques jeux, il y avait Photoshop Elements 2.0 installé sur l'ordinateur familial. Alors j'ai commencé à essayer de dessiner avec.


En 2003, j'ai découvert les Dollz ou Pixel Dolls, des poupées de pixels partagées via des sites, des blogs ou des forums. À partir de corps de base « empruntées » à des sites, les dolleuses dessinaient des vêtements et accessoires pixel par pixel. Toute une communauté s'est organisée sur des forums, avec des concours et des règles strictes.

Dollz
Série de Dollz.

Le dolling1 a commencé autour de 1995. À l'origine, les Dollz étaient des avatars personnalisables spécialement créés pour un chat appelé « The Palace ». Quelques personnes dessinaient des vêtements et accessoires pour le seul modèle de corps disponible. L’insatisfaction et la facilité d'accès aux outils de création a mené des amateurs à produire leurs propres modèles, poses ou vêtements.


En 2003, la communauté qui s'exprimait sur les forums était devenue très solidaire. Montrer ses créations était l'occasion de recevoir encouragements, critiques constructives et compliments. La plupart des dolleuses2 étaient des adolescentes pour qui l'appartenance à une communauté servait de récompense. Créer dans ces conditions questionne une forme de travail ludique. Une sorte d'écosystème a commencé à s'organiser sur la base du jeu, de la création, de la collaboration et de l'utilisation d'images numériques. Cependant, les créations n'ont eu l'air d'avoir de valeur qu'entre amateurs.


À la même période le jeu des Sims a été lancé. J'y vois une suite logique aux Dollz vers des réalisations en 3D. Les mêmes problématiques ont rapidement fait surface. Modification de corps, choix de vêtements et accessoires...la personnalisation de ces modèles devient une quête en soi pour certains utilisateurs.

On appelle ceux qui réussissent à personnaliser ces jeux existants des modeurs3. Dans la sous-culture du mod, il n'est pas seulement question de vêtements. Les modifications d'un jeu qui peuvent être entreprises sont bien plus profondes. Par rapport aux jeux sur console, ceux sur ordinateur comportent souvent un kit de développement permettant de modifier le jeu au besoin. Ce kit était au départ destiné aux professionnels. Grâce à ce kit, tous les objets graphiques et comportements du jeu sont modifiables. Cela vaut pour les Sims mais aussi pour Half-Life (sorti en 1998) qui fut supplanté l'année suivante par son propre mod « Counter-strike » mis en ligne gratuitement.


Ces mods de jeux sont rendus possible grâce à leur caractère virtuel.


« Le virtuel tend à s'actualiser, sans être passé cependant à la concrétisation effective ou formelle. L'arbre est virtuellement présent dans la graine. En toute rigueur philosophique, le virtuel ne s'oppose pas au réel mais à l'actuel : virtualité et actualité sont seulement deux manières d'être différentes. »4


La notion de virtuel par opposition à celle d'actuel exploite ici la dimension évolutive en tant que propriété. Un jeu vidéo est virtuel par sa capacité à être modifiable et ré-éditable à l'infini. C'est ce que l'accès au kit de développement a rendu possible pour les amateurs. Jamais totalement figée, une version diffusée devient terrain de jeu de conception. Les jeux ouverts à ces libertés créatives, comme Minecraft par exemple, peuvent bénéficier du travail gratuit de centaines d'Internautes qui apportent ainsi une importante diversité au jeu initial.


Les modeurs sont des personnes plus intéressées par la création que par la consommation d'un jeu tel qu'il a été présenté. Dans ces conditions, la limite entre jeu et travail se trouble. Je dirais qu'ils sont de ceux qui jouent à créer : établir ses propres règles, modifier l'environnement, corriger des comportements, produire de l'inattendu.

Minecraft
Minecraft.

Si l'on reconsidère l'amateur comme un travailleur, on peut alors commencer à porter attention à ses outils de production. Chez les amateurs la réappropriation est une notion récurrente : réappropriation d'objets, d'enseignements, de processus, d'outils... C'est pour cela qu'ils privilégient bien souvent les systèmes ouverts, gratuits ou peu coûteux. Sans se considérer comme des professionnels, ils cherchent des outils à la hauteur de leur imagination et de leurs compétences. Ce qui pourrait s'en rapprocher le plus pourrait être les outils conviviaux définis par Ivan Illich :


« L'outil est convivial dans la mesure où chacun peut l'utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu'il le désire, à des fins qu'il détermine lui-même. L'usage que chacun en fait n'empiète pas sur la liberté d'autrui d'en faire autant. Personne n'a besoin d'un diplôme pour avoir le droit de s'en servir. »5


« L'homme a besoin d'un outil avec lequel travailler, non d'un outillage qui travaille à sa place. Il a besoin d'une technologie qui tire le meilleur parti de l'énergie et de l'imagination personnelle. […] Pour être efficient et rencontrer les besoins humains qu'il détermine, un nouveau système de production doit retrouver la dimension personnelle et communautaire. »6


Les modeurs ou bien les dolleuses n'utilisent pas les même outils et techniques mais ont pourtant en commun leur organisation communautaire le plus souvent non lucrative et un processus de réappropriation laissant une large place à la curiosité et la créativité.


Le dolling amateur fait appel à une technique de dessin bien précise. Les petites images de pixels sont produites grâce à l’outil crayon disponible sur la plupart des logiciels de dessin par ordinateur. La construction de ces images 2D est intimement liée à la structure élémentaire d'affichage des écrans. En zoomant suffisamment dans une image numérique on aperçoit une grille de base. Chaque carré qui la compose joue son rôle en affichant sa couleur (synthèse de valeur de teinte, saturation et luminosité). Ce niveau discret7, nous donne à voir les pixels isolés et considérés comme indivisibles.


Construire une image numérique en remplissant ces pixels un à un avec une couleur prédéfinie, c'est selon moi, réaliser une création de pixel art8 de manière classique. Le plus souvent, ont fait d'abord le contour puis la couleur de remplissage et enfin les ombres et les lumières. Le rendu est plus ou moins simpliste, plus ou moins grand, en fonction du nombre de pixels colorisés. L'affichage se produit en 72 dpi sur l'écran ce qui rend ces créations reconnaissables à leurs lignes diagonales en escalier et à la difficulté de produire des ronds réalistes. En revanche, cette esthétique particulière, a pour moi le charme de son propre échec à être réaliste. C'est notre cerveau qui joue le rôle d'interprète entre ces lignes au nombre de pixel restreints et ce qu'elles représentent. Tant que le travail graphique est correctement réalisé cela fonctionne.


Le pixel a son équivalent en volume appelé voxel. Le plus souvent les images 3D de jeux vidéo sont réalisées grâce à la modélisation polygonale. Mais l'utilisation des voxels semble aussi intègrer dans l'imagerie 3D l'efficacité du pixel-art et son esthétique. Combiner des modèles cubiques jusqu'à obtenir la forme d'un objet souhaité c'est un peu comme jouer aux Lego après tout. Pixels, voxels, kits... ce sont des outils dont la simplicité de mise en œuvre apporte à la création un aspect ludique. Cette notion, très présente dans la création numérique, semble parfois s'évanouir à l'entrée du monde professionnel. Ou bien, ce ne sont pas les outils mais les amateurs qui en se rassemblant autour d'une pratique, forment un nouvel environnement de jeu ?

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Re-things - Shawn Smith.
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